« En juin, je lis autochtone » : la littérature autochtone en pleine effervescence

Par Coralie Laplante, La Presse Canadienne 1:30 PM - 8 juin 2024
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Des livres sont rangés sur les étagères de la bibliothèque centrale de North York, à Toronto, le vendredi 23 février 2024. LA PRESSE CANADIENNE/Chris Young

Les œuvres des auteurs des Premières Nations seront mises de l’avant ce mois-ci dans plusieurs bibliothèques et librairies du Québec à l’occasion de l’événement «En juin, je lis autochtone». L’initiative qui prend de l’ampleur témoigne de la place grandissante occupée par la littérature autochtone, selon la porte-parole de la campagne. 

«On est vraiment à un moment extraordinaire où la littérature autochtone est vraiment dans sa plus grande effervescence, et il y a plein de gens qui sont là pour l’accueillir aussi», affirme l’autrice et artiste Natasha Kanapé Fontaine, en entrevue. 

Elle raconte avoir récemment réfléchi à sa vie littéraire longue de 12 ans, alors qu’elle a publié son premier livre «N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures» en 2012. 

«J’ai l’impression que 2012, c’était vraiment le début où il commençait à avoir de nouvelles œuvres publiées par les auteurs autochtones au Québec. Puis avec le temps, j’ai été amenée, bien sûr, à voyager ailleurs au Canada, à la rencontre d’autres auteurs autochtones, et de me rendre compte en fait que la production littéraire se faisait depuis beaucoup plus longtemps que chez nous, de façon plus répandue», détaille l’écrivaine. 

Plus de 10 ans plus tard, elle se réjouit de voir une initiative comme «En juin, je lis autochtone», qui en est à sa quatrième mouture, avoir beaucoup de succès. Cette année, 75 librairies et 165 bibliothèques participent à l’initiative à travers différentes régions du Québec. 

Mme Kanapé Fontaine a aussi constaté, en consultant le carnet de l’initiative, qui propose plusieurs suggestions littéraires, qu’elle ne connaissait pas toutes les nouveautés écrites par des auteurs autochtones, montrant le nombre grandissant de publications des Premières Nations.

«Habituellement, je suis très au fait de qu’est-ce qui sort et de qu’est-ce qui se fait. Et là, j’ai été surprise par le fait qu’il y avait tellement de choses qui se passaient maintenant que c’était normal que je n’arrivais plus à suivre le courant», affirme-t-elle.

L’autrice a aussi salué le fait que les livres d’auteurs autochtones prennent dorénavant «une très grande place» dans les librairies du Québec. 

«On dirait que je n’aurais jamais imaginé, il y a 12 ans, autant d’enthousiasme à vouloir célébrer la littérature des Premières Nations, mais aussi, vraiment de faire en sorte d’éduquer encore plus le lectorat. S’il y a des personnes qui en savent encore très peu sur les peuples autochtones, les libraires s’adonnent à cœur joie», explique-t-elle. 

«Pendant longtemps, il y avait des intervenants autochtones, des écrivains qui essayaient vraiment de faire ce travail d’éducation là, mais le mois de juin, avec “En juin, je lis autochtone”, ça permet à pleins de gens de partager ce rôle-là d’éducation aussi. Maintenant, on dirait qu’on passe à quelque chose au-delà de l’éducation seule, c’est vraiment à l’appréciation, à la célébration.»

Une place encore à faire sur les bancs d’école

Si des initiatives comme «En juin, je lis autochtone» et le Salon du livre des Premières Nations contribuent à l’éducation de la population sur la littérature autochtone, la place de ces œuvres n’est pas encore acquise sur les bancs d’école, souligne Marie-Éve Bradette, professeure adjointe au Département de littérature, théâtre et cinéma de l’Université Laval et titulaire de la Chaire de leadership en enseignement sur les littératures autochtones au Québec. 

Même si les œuvres des auteurs des Premières Nations sont de plus en plus présentes dans les écoles à tous les niveaux d’éducation, leur enseignement n’est pas encore obligatoire, explique Mme Bradette. 

«Au niveau de la littérature, il n’y a pas encore d’obligation de mettre des œuvres de littérature autochtone au programme. Donc, il y en a de plus en plus, parce que les enseignants, les enseignantes, commencent vraiment à connaître cette littérature-là, et par leur désir personnel à l’inclure dans leur cours», détaille la professeure. 

Quels trucs donne-t-elle aux professeurs qui souhaiteraient inclure la littérature autochtone dans leur enseignement? 

«La chose que je dis toujours, c’est d’oser le faire. J’entends souvent des gens qui n’osent pas le faire parce que les personnes ne savent pas comment s’y prendre», dit-elle. 

«Les personnes enseignantes ont souvent peur de faire des faux pas quand il s’agit d’enseigner les contenus autochtones, et effectivement, on va faire des erreurs en enseignant ces textes-là. Mais il faut adopter une posture d’écoute, de respect, de réciprocité aussi avec les textes, et se laisser porter par ce que les textes véhiculent aussi comme savoir, comme ancrages culturels spécifiques aussi», ajoute-t-elle. 

Mme Bradette invite également les professeurs à réfléchir à leur position lorsqu’ils enseignent. 

«De voir depuis quel espace on s’exprime, est-ce qu’on lit, est-ce qu’on partage cette culture-là, pour vraiment mettre en valeur les savoirs produits par la littérature et pas nécessairement imposer nos visions du monde qui peuvent être coloniales, occidentales, quand on est des professeurs allochtones, comme je suis moi-même», détaille-t-elle. 

Une invitation à découvrir une littérature riche

En ce qui concerne les lecteurs, Mme Bradette les invite à découvrir cette littérature «dans la pluralité de ses formes».

«Les lecteurs aujourd’hui peuvent entrer dans ce corpus de texte là de plein de manières, et y trouver leur compte. Qu’on s’intéresse à la fiction dystopique, ou au roman avec un ancrage plus identitaire, il y a tout ça en littérature autochtone actuellement», affirme la professeure. 

Mme Kanapé Fontaine encourage pour sa part ceux qui n’ont jamais pris connaissance de la littérature autochtone à lire plusieurs livres pour comprendre la richesse de cet univers. 

«C’est un monde qu’on découvre, puis que, des fois, le premier livre qu’on va lire ne va pas nécessairement représenter tout ce monde-là. Pour moi, c’est d’inviter à découvrir non seulement un auteur, mais plusieurs auteurs à la fois», dit-elle. 

L’autrice souligne également que la littérature autochtone s’attarde autant au passé et au présent qu’au futur. 

«C’est un imaginaire qui a existé sur ce territoire-ci pendant des millénaires, c’était déjà là et il y a plusieurs auteurs qui font ce travail-là de faire résonner les voix de leurs ancêtres, les voix de leur culture ancestrale au travers de leur littérature», explique-t-elle. 

«Et il y en a qui ne font pas ça du tout, qui font vraiment beaucoup dans le présent, dans le contemporain, (d’autres) qui imaginent le futur aussi des Premiers Peuples d’ici les prochaines années ou dans 100 ans, 200 ans. Ça, c’est le pouvoir de la fiction aussi, c’est imaginer et créer des nouvelles histoires à partir de ce qui nous inspire.»

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