Tout le monde aime “Rigo”

Par Emelie Bernier 6:00 AM - 30 juin 2024 Initiative de journalisme local
Temps de lecture :

Rigoberto Chacach et ses deux fils.

Ils sont parmi nous… et indispensables (3 de 4)

Ils sont une main-d’œuvre essentielle et sans eux, nombre d’entreprises québécoises peineraient à garder leurs portes ouvertes. En mars dernier, la journaliste et chroniqueuse Émélie Bernier est allée au Guatemala à la rencontre de travailleurs étrangers temporaires qui font chaque année la navette entre leur pays et le nôtre. L’objectif ? Comprendre leurs motivations et les impacts de ce choix qui les éloignent durant plusieurs mois de leur famille et de leur communauté. Voici le troisième portrait d’une série de quatre. 

À Forestville, Rigoberto Chacach est connu comme Barabas. Avec sa bouille sympathique et son enthousiasme à parler français, il crée des liens partout où il passe. « Je vais au restaurant, à la plage, jouer au billard, et tout le monde me dit salut ! Je me sens très bien ici à Forestville et j’ai beaucoup d’amis », lance le Guatémaltèque dont les traits distinctifs témoignent d’origines autochtones. 

Comme plusieurs travailleurs étrangers temporaires (TET), Rigoberto Chacach est un fier membre d’une communauté maya, les Cakchiquel. 

Le seul obstacle à la venue des membres des Premières Nations de la partie sud des Amériques est leur connaissance de l’espagnol, comme l’explique Estefania Pineda, fondatrice de l’agence de recrutement ComuGuate. Cette agence accompagne plus de 80 % des TET qui séjournent au Québec. 

« Il y a de nombreuses communautés mayas au Guatemala et chacune parle sa propre langue — le quiché, le mam, le cakchiquel, le q’eqchi’ —, mais la plupart des autochtones parlent aussi espagnol. C’est fondamental s’ils veulent venir travailler au Canada, pour des questions de sécurité, par exemple. »

Estefania Pineda, de ComuGuate.

Les employeurs ici sont tenus de se faire comprendre des TET membres de leur équipe pour expliquer, par exemple, le maniement de certains produits de type herbicide ou pesticide, ou des équipements. 

Rigoberto, lui, s’exprime en cakchiquel dans sa communauté, mais maîtrise l’espagnol et s’investit depuis l’an un dans l’apprentissage du français. 

« J’aime beaucoup le français et c’est important pour moi de communiquer », lance-t-il. Dans son équipe, tout le monde apprécie ses efforts et sa bonne humeur.  

« Rigo, c’est vraiment un atout pour notre équipe et il est très apprécié », relate sa collègue Sonia Simoneau, préposée à l’administration et gestion du personnel au Centre sylvicole de Forestville. Sa curiosité est remarquable. « Il a su s’intégrer, il pose des questions, il cherche beaucoup à comprendre », salue-t-elle. 

Sa maîtrise de la langue s’améliore d’année en année. 

« Son immersion en français, il la fait par lui-même en écoutant de la musique, des films… Il a pris l’initiative de suivre des cours ! Il nous parle toujours en français », lance-t-elle.

Youssuf Fofana, responsable de la production à la Société d’exploitation des ressources de la Vallée (SERV), ne tarit pas d’éloges envers Rigoberto Chacach. « C’est un très bon travailleur, on n’a rien à lui reprocher. » 

Rigoberto Chacach et Youssuf Fofana. Photo Johannie Gaudreault

Tous les matins, « Rigo » est sur le site à 4 h. Il travaille jusqu’en début d’après-midi à la fertilisation des plants. Depuis 2017, Rigoberto Chacach a pris de plus en plus de responsabilités et contribue à former plusieurs de ses collègues.

« S’il n’y a pas de Guatémaltèques dans notre pépinière, on ferme. Ils travaillent vraiment bien. C’est franchement des perles, des anges ! On est très reconnaissants qu’ils soient là. Rigo, c’est du pain béni pour nous », ajoute, dithyrambique, Youssuf Fofana. 

Le principal intéressé ne tarit pas d’éloges envers son employeur qui le traite avec dignité. « Quand j’ai été malade, mon employeur m’a imposé de me reposer. Il m’a dit que le plus important, c’était la santé. J’ai été à l’hôpital, on m’a opéré. Franchement, les patrons ici à Servallée sont très gentils », insiste-t-il.

En vertu des règles qui s’appliquent à cette catégorie d’immigrants temporaires, il a pu être soigné au Québec.

Le village de Zaragoza, au Guatemala.

Un sacrifice qui en vaut la peine

Ce n’est pas de gaieté de cœur que « Rigo » a fait la démarche pour devenir travailleur étranger temporaire. Quand une maladie a décimé les champs de fraises où il travaillait, il n’a eu d’autre choix.

« C’est difficile, bien sûr, de quitter ma famille, mais je n’avais aucun autre recours pour répondre à nos besoins. J’avais entendu parler du travail au nord, je cherchais une opportunité jusqu’à ce qu’arrive ComuGuate dans mon village. Je me suis dit voilà ma chance. J’ai fait le processus de recrutement. Ça a pris un an, j’avais perdu espoir, mais ils m’ont finalement appelé. » C’était en 2017.

Chaque printemps depuis, Rigo fait ses bagages et dit adieu à sa famille. 

Comme tous les travailleurs étrangers temporaires que nous avons rencontrés, Rigoberto Chacach fait ce sacrifice dans l’objectif d’améliorer les conditions de vie de sa famille. Et d’ouvrir les portes de l’éducation à ses enfants. 

« J’aimerais qu’ils puissent aller à l’université s’ils le souhaitent. »

Leur recommanderait-il de devenir, à leur tour, des travailleurs agricoles au Québec ? « Sincèrement, je pense que ce serait bien qu’ils voyagent. Moi, je suis un autochtone, je parle cakchiquel et je suis vraiment fier de voyager. C’est une porte ouverte sur le monde », lance-t-il.

Les voyages ne forment pas que la jeunesse, comme le prétend l’adage.

« Quand je suis sorti de mon village, de mon pays, ça m’a ouvert les yeux. Je n’avais jamais pensé que je pourrais apprendre une troisième langue, découvrir une culture, connaître d’autres personnes d’ailleurs. Ça m’a fait grandir. Aujourd’hui, le Québec, c’est comme ma deuxième maison. Tout le monde me dit : “salut Rigo” et je me sens chez moi. Si ma famille pouvait venir ici, ce serait parfait. »

Ce reportage a été réalisé grâce à une bourse du Fonds québécois en journalisme international.

Partager cet article