L’urgence de Baie-Comeau sous respirateur artificiel 

Par Johannie Gaudreault 11:20 AM - 9 août 2024
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L’urgence de Baie-Comeau sera sous respirateur artificiel la semaine prochaine. Photo archives

Des soins « déficients et dangereux » seront offerts aux patients de l’urgence de Baie-Comeau à la mi-août si la situation ne s’améliore pas. Les médecins de la Côte-Nord ont tiré la sonnette d’alarme le 8 août dans une lettre cosignée par les 10 chefs de département du CISSS régional.

« Nous croyons que la population nord-côtière mérite de savoir que nous n’aurons pas les moyens de la soigner de façon sécuritaire dans notre centre régional au cours des prochaines semaines », écrivent les docteurs Charlton, Ouimet, Ezahr, Thalabot, Girard, Thibault, Mailloux, Beaulieu, Moreau, et Quynh.

L’urgentologue à l’urgence de Baie-Comeau, Dr Marie-Laurence Dionne est inquiète pour les semaines à venir. « On a une ou deux infirmières à l’horaire alors qu’habituellement, on est huit. On ne pourra tenir l’urgence comme il se doit avec du personnel restreint et, en plus, on met de la pression sur les infirmières qui seront au travail ces jours-là », dénonce-t-elle en entrevue avec Le Manic.

Cette pénurie de personnel pourrait engendrer des situations dangereuses pour les patients. « On dessert de Tadoussac jusqu’à Baie-Trinité en comptant Manic-5, rappelle l’urgentologue. Comment on peut penser desservir autant de population à deux infirmières ? »

Dans la missive dont le Journal a obtenu copie, les médecins sont catégoriques. « Être soigné dans une salle d’urgence fermée aux trois quarts par du personnel non formé avant d’être transféré à des centaines de kilomètres pour recevoir des soins de base ne représente pas un accès universel à des soins de qualité même si c’est ce que le ministère de la Santé essaie de vous faire avaler », disent-ils. 

Comme le mentionne Dr Dionne, des transferts de patients se produisent tous les jours depuis le retrait du personnel d’agences des établissements de santé. Ils ne peuvent qu’être plus nombreux dans les prochains jours, croit-elle. 

Des solutions inadéquates

Selon les médecins signataires de la lettre, le ministère est au courant des fermetures à venir, mais « il préfère que vous ne le soyez pas ». Les solutions proposées par le gouvernement caquiste ne répondent pas aux besoins, soutiennent-ils.

« Il propose de déplacer du personnel à l’urgence sans qu’il ne soit adéquatement formé. Il détermine des ratios de patients dangereux en espérant que la population ne soit pas trop malade pendant qu’il laisse des trous béants dans le système de santé. »

« Il demande aux administrateurs locaux de trouver des solutions sans leur offrir le personnel supplémentaire promis alors que le problème a été créé de toutes pièces par le ministère en retirant la main-d’œuvre indépendante », poursuivent les chefs de département en ajoutant que le ministère « joue à la roulette russe » avec les citoyens et qu’il souhaite que « la crise passe sous le radar ».

Une des solutions à mettre en place rapidement, aux yeux de l’urgentologue de Baie-Comeau, est sans aucun doute le retour des contrats avec les agences privées de personnel. « On roulait avec 50 % de main-d’œuvre indépendante. On ne peut pas l’enlever du jour au lendemain sans penser qu’il y aura des conséquences », lance-t-elle.

Cette dernière critique également l’équipe volante du ministre Dubé. « C’est peut-être une solution à moyen et long terme, mais à court terme, on n’en voit aucun bénéfice à l’urgence. Les infirmières doivent être formées pour donner des soins critiques. Ce n’est pas toutes les infirmières qui peuvent venir prêter main-forte. »

Les médecins régionaux clament que la crise doit être jugulée « avant que des citoyens paient par leur vie le prix de décisions politiques trop précipitées ». Le retour à une normalité passe notamment par le rétablissement des conditions de rémunération qui permettent au CISSS de signer des contrats avec la main-d’œuvre indépendante.

« Le ministère de la Santé doit revoir le modèle de rémunération et de conditions de travail pour tous les travailleurs de la santé en région éloignée si l’on souhaite se doter d’un vrai pouvoir de recrutement à long terme. Les médecins, pharmaciens et le personnel en place, qui sont au cœur de la crise, ont plein d’idées et de pistes de solution pour améliorer et régler la situation. Nous souhaitons collaborer avec vous », peut-on lire dans le document.

Seuls au combat

Ce n’est pas la première fois que les médecins de la Côte-Nord sortent dans les médias pour dénoncer la crise sans précédent qui touche le réseau de la santé depuis bientôt trois mois. « On se sent seuls au combat », partage Dr Marie-Laurence Dionne en se désolant de l’absence de soutien de la part des élus locaux et régionaux.

« Où sont le maire de Baie-Comeau et le député Yves Montigny ? On ne se sent pas appuyé. En tant que médecins, on se doit de dénoncer ces situations pour la population. Mais les élus ont été choisis par les citoyens, ils doivent les défendre », ajoute celle qui croit que les Nord-Côtiers doivent se mobiliser pour obtenir des soins de santé de qualité.

Notons que le ministre de la Santé Christian Dubé n’a pas accordé d’entrevue à la suite de la publication de la lettre.