Transport d’urgence aérien: 2 coroners pressent Québec d’avoir une centrale d’appels

Par Katrine Desautels, La Presse Canadienne 4:00 PM - 21 août 2024
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Le pilote Neil Garthwaite est assis dans le cockpit d’un hélicoptère du service d’ambulance aérienne ORNGE à sa base de Toronto, le mardi 13 décembre 2022. LA PRESSE CANADIENNE/Chris Young

Dans le contexte où un homme de 28 ans et une femme de 61 ans sont morts dans des circonstances non idéales d’un transport d’ambulance aérienne, deux coroners recommandent au ministère de la Santé de se doter dans un délai de six mois d’une centrale d’appels.

Cette centrale relèverait du Centre de coordination provinciale de transferts aériens qui regrouperait le Centre d’optimisation d’occupation des lits de soins intensifs et le Service d’évacuations aéromédicales du Québec. C’est d’ailleurs ce qui est prévu dans le Plan d’action gouvernemental du système préhospitalier d’urgence 2023-2028, mais au début du mois d’août le processus n’avait pas commencé à être déployé, selon la coroner Me Francine Danais.

«Je vais insister pour que cela soit mis en place rapidement afin de permettre aux médecins soignants de se concentrer sur leur patient plutôt que de faire des démarches que je qualifierais d’administratives», écrit Me Danais dans son rapport.

Le Service aérien gouvernemental (SAG) dispose de quatre avions. «Au cours des cinq dernières années, il y a eu une augmentation du nombre de transferts d’environ 38 % et il arrive que les quatre appareils soient en service en même temps. Devant ces faits, il devient évident que la flotte aérienne doit être augmentée», soulève Me Danais.

La coroner note également que le SAG fait face à une pénurie de pilotes «qui se dirigent vers le privé pour de meilleures conditions de travail». Cet enjeu fait en sorte que parfois un avion est disponible, mais aucun pilote ne l’est.

Avec Me Julie-Kim Godin, les deux coroners ont publié mercredi leurs conclusions concernant deux décès survenus dans un contexte de transfert aérien d’urgence.

Afin d’améliorer le service de transport médical aérien dans les régions éloignées, incluant les territoires des communautés des Premières Nations et des Inuits, Me Godin recommande que le ministère de la Santé s’assure de la disponibilité d’effectifs et d’appareils en quantité suffisante.

Me Danais formule en plus d’autres recommandations au ministère des Transports. Elle lui demande de mettre en place «des mesures pour favoriser l’attraction et la rétention des pilotes, afin de permettre un transfert aérien d’urgence plus rapide pour les patients des régions éloignées».

Le ministère des Transports est aussi appelé à accélérer le remplacement des appareils désuets de la flotte actuelle et de la bonifier au besoin dans les meilleurs délais.

Premier cas: décès d’un homme de 28 ans

Le cas sur lequel s’est penché Me Danais concerne un homme de 28 ans qui est décédé le 4 janvier 2024 à Val-d’Or lors d’une tentative de transfert aérien.

Le 3 janvier au matin, un transport en ambulance par voie terrestre est demandé pour l’Hôpital de Val-d’Or, car l’homme vomissait du sang depuis trois jours, il était incapable de manger et rencontrait des difficultés respiratoires.

Arrivé à l’hôpital, son état se détériore rapidement et il est transféré à l’unité des soins intensifs. Il est intubé pour faciliter son oxygénation et un peu plus tard, des radiographies pulmonaires confirment qu’il a besoin d’un traitement par oxygénation par membrane extracorporelle (ECMO), mais malheureusement, cet appareil n’est disponible que dans les grands centres urbains (Montréal, Québec, Sherbrooke et Chicoutimi).

L’Hôpital du Sacré-Cœur-de-Montréal est identifié pour recevoir le patient. Après l’avoir stabilisé, l’équipe médicale aérienne est finalement prête à décoller à 4 h 30 du matin le 4 janvier.

Il est à noter que le SAG avait été informé plus tôt de l’absence de pilotes disponibles pour le quart de nuit pour un transfert aéromédical. Il s’est assuré de la disponibilité d’un avion de relève qui est malheureusement parti pour une autre mission urgente. Il a fallu demander un second avion de relève.

Durant la nuit, cet avion de relève se positionne à l’aéroport de Québec. Le patient est transféré sur le tarmac alors que la température est de moins 22 degrés Celsius. Dans l’avion, des équipements ont gelé. Vu la situation, l’équipe médicale aérienne décide de retourner le patient à l’Hôpital de Val-d’Or.

Peu de temps après, l’homme fait un arrêt cardiorespiratoire et des manœuvres de réanimation sont entreprises avec succès. De retour à l’unité des soins intensifs de l’hôpital, il fait un autre arrêt cardiorespiratoire duquel il succombera.

Deuxième cas: décès d’une femme de 61 ans

Le second cas, que Me Godin a analysé, concerne le décès d’une femme de 61 ans en août 2022. À l’époque, la dame se retrouve au CLSC de Salluit, car elle vomit du sang.

Le personnel médical conclut que le rejet de sang provient des voies respiratoires et on soupçonne une pneumonie ou la tuberculose (vu ses antécédents). Un transfert aérien vers le Centre de santé Inuulitsivik est planifié.

Six heures plus tard, la patiente décolle avec l’équipe médicale, mais durant le transport, elle tousse «une quantité massive de sang». Elle tombe en arrêt cardiorespiratoire et des manœuvres sont pratiquées sur elle par l’équipe dans l’avion et elles sont poursuivies par le personnel médical une fois arrivé au Centre de santé Inuulitsivik. Son décès est malheureusement constaté au centre.

Il est à noter que le transfert de la dame a été géré par le Centre de santé Inuulitsivik et non par le ministère de la Santé. La coroner Godin souligne dans son rapport que Salluit est une région éloignée où la météo peut complexifier les déplacements.

Me Godin affirme toutefois que le délai de six heures est dû entre autres à «des enjeux d’organisation de services, de priorisation des demandes de même que de disponibilité des ressources humaines et matérielles».

La coroner indique qu’il serait «pertinent d’uniformiser les approches et de regrouper les services au sein d’une même centrale de coordination, et ce, tout en respectant les réalités régionales». Elle précise que le ministère de la Santé et des Services sociaux s’est montré ouvert à cet égard.